Les corps étranges. (Surdité)

(Les alcools vertébraux
Seront notre festin
D’une nuit aux allures
D’aube,
Et les chandelles scintilleront
D’instants fugaces
Vespéraux,
Et le vin sera sang
Et le pain sera mien
Et l’herbe sera soie
Et les épices tiennes.)

J’ai tant rêvé de rêver
Que je sais tout du monde,
Les incestes fratricides
Et les guerres de mille ans,
Les crânes fracassés
Par des épées de bois,
Les armées soulevées
Des océans d’hiver,
Des clous, une croix
Et l’espoir épinglé,
Les gouttes de feux
Jaillissantes en nos mains,
Les enceintes brisées
Par des vœux intestins,
Les balles des fusils
-Ces billes de l’enfance-
Déchirant nos côtes
En parcelles d’instants,
Je me suis vu mourir
La cervelle sur mes joues,
Je vous ai vu hurler
Des brûlures à l’acide,
Ces empires égoïstes
A conquérir vos lunes,
Ces astronautes ivres
A chercher d’autres terres,
Et ces champs de décombres
Aux lueurs nucléaires,
Ces révolutions nées
De jours d’averses solaires
Qui s’éteignaient alors
En soufflant fort dessus,
Et ces mains tendues
A jamais vers le ciel,
Tentant d’accrocher
Des nuages de rires,
Eternelles incapables
A décrocher des mots.
J’ai tant rêvé de rêver
Que je sais tout du monde,
Sans chercher à savoir
Qu’un autre était derrière.

(Et, ivres de mourir,
Nos peaux comme des draps,
Le vertige du sommeil
Noir
Dès lors nous prendra
Dans ces paupières
Lourdes mais de soie.
Et l’eau sera sucre
Et les nébuleuses nôtres
Et le vent sera caresse
Et nous serons en vie.)