Le kleptomane des cœurs.
Les murs ont l’air cannibale tant leur laideur est expressive. L’homme, nonchalant, marchait.
La tête dans les étoiles ou alors dans le fond du cul. Après tout, cela dépend de l’heure. Mais sachant qu’il est quatre heures du matin, il est sûrement ivre. Certes, cette réponse ne convient ni à l’une, ni à l’autre des deux hypothèses. Mais à cette heure, il est concevable que je sois étourdi. En réalité l’homme que vous voyez marcher (ou pas) ainsi que celui qui vous parle ne forment qu’une seule et même personne. Oui, souvent, après quelques verres, je parle de moi à la troisième personne.
Je suis, désormais, devant mon pavillon, ma chère amie ne sait pas que je rentre. C’est une surprise. Elle aussi m’en réserve une. Les néons me mettent le crâne en miettes tandis que je tente de fourrer ma clef dans cette putain de serrure. Elle se déplace vite, après quelques verres. Soudainement, quatre minutes plus tard je parviens, enfin, à déverrouiller ma chère porte. Mais il aurait certainement mieux valu que je mette plus de temps.
Tandis que je pousse d’un effort surhumain la plaque d’acier protégeant mon antre de l’air pur, j’entends les gémissements sourds d’Alice. Là, deux alternatives s’offrent à moi. Soit j’ai vraiment bu une bouteille de trop, soit Victor est en train de baiser Alice devant la télé.
La deuxième explication me semble la plus crédible.
- « Salut bébé. Tu t’amuses bien ? »
- « Oh merde », chuchote-t-elle, puis elle enchaine de vive voix, « non ce n’est pas ce que tu crois. »
- « Comment ça ? Qu’est ce que je crois ? Pour l’instant ce que je crois c’est que Victor est à poil, derrière toi en train de t’asséner des coups de reins si violents que l’on t’entend gémir depuis l’autre bout de la rue. »Je parle si vite que personne n’aurait pu me comprendre.
- « Hein ? »
- « Bon, je ressors. Je vais à l’hôtel. Je repasserai demain. Je te laisse la maison pour la nuit, et quand je reviendrai j’exige que tu sois partie, toi et tes fringues de pute. Bonne bourre. »
- « Non, non, reste ! »
- « Quoi ? Tu veux un plan à trois ? »
- « Hein ? Mais non voyons. »
- « Bon, alors je m’en vais vite avant que Victor ne soit trop froid pour finir son entreprise de pilonnage en règle. Adieu. »
Les murs ont l’air encore plus dégueulasse avec des larmes qui les rendent flous. Maintenant, on pourrait dire que j’ai la tête dans une comète. C’est comme les étoiles à l’exception près que des gouttes de haines perlent mes yeux. Sur la vitre, on ne dirait pas des larmes, mais de la grêle.
Après quelques heures de sommeil, je me réveille dans ma suite. De bonne humeur. J’ai dix neuf ans et je peux me permettre de dormir au Ritz. Comme vous le savez, ma copine, cette garce, s’est fait baiser par Victor, mon grand-frère. Ah ! J’oubliais, mon prénom est Narcisse. Cela explique le passage de la vitre d’hier soir.
Comme promis j’arrive chez moi aux alentours de quinze heures. Sobre, l’immense muraille symbolisant la rupture (tranquille) entre l’extérieur et l’intérieur, semble n’être qu’un portillon. Alice est droite, comme l’organe de Victor hier soir, au milieu du salon. Ses valises sont posées sur le canapé.
Apparemment elle n’a pas compris le message hier, peut être était-elle trop occupée.
En outre elle a l’audace de prendre la parole.
- « Je t’attendais. »
- « Pourquoi ? Victor ne t’a pas comblée hier soir ? »
- « Arrête. »
- « Qu’est ce que tu attends pour t’en aller alors ? » Lui réponds-je aussi sec. Je suis pourtant certain d’avoir été très clair hier soir, ou plutôt ce matin. Mais on a souvent le réflexe d’attribuer à hier les événements séparés par le sommeil.
- « J’attendais de pouvoir te parler. Je ne veux pas que tu te brouilles avec ton frère. »
- « On ne t’a pas attendue pour ça. Va t’en maintenant. »
- « Au revoir, Narcisse. »
- « Adieu, princesse. »
Elle sort, elle a l’air effaré. Cela a sûrement été provoqué par mon sourire léger tandis que je lui parlais. « Enfin seul »
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Trois jours ont passé. Ou plus. Ou moins. Je suis nu, sur le corps tout aussi nu d’Alice. Tandis que je m’exerce à une séance de « va et vient », allongée dans le temps par ma dose d’alcool ankylosant, et mon orgasme, et mon corps, et mon cerveau ; je me répète sans cesse : « Bordel ! Mais qu’est ce que je fous là ? ».
Je sens ses seins se frotter à mon corps. C’est jouissif. Il est vrai qu’Alice est une sacrée catin, mais elle est belle, et elle a un corps aux normes de mon exigence.
Puis on sort. On arrive en boite. Ca y est, j’ai déposé Alice chez elle. Parmi les cons. Les discothèques c’est marrant, on dirait une immense orgie dans une boite de métal à ceci près que les gens sont habillés ici. Des chansons de merde, avec cent décibels de moins, elles pourraient être supportable, et encore. Alice, chauffe deux trois mecs, j’espère sincèrement qu’elle va finir chez l’un d’eux. Je n’ai pas envie de dormir avec elle. Parce que quand on dort avec Alice, ca dérape, toujours. Deux bouteilles de champagne, une bouteille de whisky. Je tente de m’enfuir de la boite sans être vu par la nympho en manque. Je suis dehors, apparemment elle ne m’a pas vu sortir. J’entends crier « Narcisse », cette voix extraordinairement irritante qui pénètre jusqu’au fond du crâne pour vous secouer vos neurones si bien qu’on se croirait dans un sèche linge, cette voix ne peut être que celle d’Alice.
Le soleil se lève, ca pourrait être charmant si seulement il ne défonçait pas mes pauvres yeux déjà en éclat. Je crache quelques miettes d’alcools dans la cuvette des chiottes. Je me rendors ensuite. Je rouvre les yeux aux alentours de midi, mais mes yeux ne sont toujours pas en forme. Ils se barrent tellement en vrille que pendant cinq minutes je n’avais pas vu Alice. Elle est pâle comme une fesse, tellement, que j’ai l’impression qu’elle est morte, mais malheureusement, elle respire. Je me pose sur mes deux jambes, d’un bond. Je tombe. Je me relève. Encore trop d’alcool, apparemment. Il semblerait qu’on est dormi dans l’ancien appartement de mon père. J’ai reconnu le plancher quand je l’ai léché. Cet appartement est mon deuxième refuge depuis quelques temps, puisque de toute façon là où mon père est, il n’en a plus besoin. Il dort paisiblement entre quatre planches de bois orné d’or. D’ailleurs son enterrement était splendide, à la vu du magot que j’ai amassé.
Tandis que j’avale mes crêpes sauvagement, j’offre mon cerveau, qui récupère à peine, à une réflexion sur moi-même, sur mon existence. « Fais chier de sortir tous les soirs, en plus il ne doit me rester qu’assez d’argent pour vivre comme ça encore un an ou deux. ». À force de conclusion de ce genre, le verdict est claire « il me faut du boulot. Mais pas en France ». Une demi-heure d’un voyage périlleux dans les embouteillages parisien pour me rendre à l’aéroport. Un billet pour les Etats-Unis. Je vous rassure avant de quitter mon appartement, j’ai délicatement foutu le zombie dans le couloir et ma bonté naturelle m’a forcé à lui laisser une couverture, si jamais il commençait à faire froid dans le couloir.
L’avion décolle. L’avion a des turbulences. L’avion atterrit. Je rentre dans un bar et je me prends une bière, je suis dans les rues de Manhattan. Les taxis jaunes. Les McDos. Les gros. Les maigres. Les gratte-ciels qui frissonnent dès qu’ils entendent le son résonnant d’un moteur Boeing. Enfin une orgie de connerie. De tôle et de gens tristement effrayé. Bienvenue en Amérique.
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Ceci est le début d'un projet qui pourrait être un roman. Ou pas.