Le bâtiment comportait 9 étages en plus du rez-de-chaussée et d’un vaste sous-sol. Les 8 premiers supportaient 100 cellules chacun. L’œuvre architecturale était sobrement terrifiante. Tout n’était que pratique, utilitaire ; fonctionnel. Chaque cellule était insonorisée depuis l’intérieur, empêchant tout contact humain avec l’extérieur. Darik avait instauré ce système pour veiller au bon repenti des détenus. Un écran géant était incrusté dans le mur, au dessus de la porte. Haz, après avoir pénétré l’enceinte carcérale, jetait toujours un coup d’œil amusé à la démesure de l’Empire : Ce bijou de technologie avait été installé pour ne passer qu’une seule phrase en boucle : « L’amour de la paix est le point d’orgue de notre société et tout manquement à ce respect devra être puni de mort. Enseignements de Darik, Ouvrage de la Sécurité ».
Haz n’avait jamais voulu vivre - Dans l’Ouvrage de la Vie, l’Empereur affirmait qu’il fallait considérer le futur comme un sursis de vie, car la mort était la finalité parfaite de l’existence. Cette vision permettait de moins souffrir de la perte, de ne plus avoir peur, c’était la suprématie de la sérénité sur le pathétique. - Alors Haz survivait, attendant patiemment sa troisième et dernière Phase pour s’éteindre à jamais. Ce processus d’existence en trois temps avait été mis au point pour enrayer la monotonie d’une vie trop longue. Ainsi, à l’âge de 25 ans Magma, on prélevait les souvenirs du patient en vue de les stocker dans une banque spécialisée. L’individu était ensuite pris en charge par les Etablissements de Réhabilitation pour débuter sa deuxième Phase. Il pouvait alors consulter son dossier pour savoir quels souvenirs il désirait conserver, comme sa femme, son lieu de vie, son travail, ses amis, ses parents, etc. S’il décidait de tout oublier, les EdR lui fournissait une nouvelle identité pour un nouveau départ. Haz n’avait pas eu ce choix. On lui avait appris que ses données avaient été perdues lors du transfert. Ce dernier, fataliste au possible, avait accepté sa nouvelle vie sans broncher, savourant alors qu’il n’ait pas à regarder tout son passé. Les EdR lui avaient fourni un appartement en bordure de Continent Un et un poste comme prêtre dans l’église de sa commune. Il avait ensuite demandé sa mutation pour être psychologue. Maintenant il n’était plus rien. Un simple vagabond, un reclus de société. Et heureux de l’être. Il attendait simplement ses 48 ans Magma, pour entamer sa dernière Phase. Il n’y en avait que trois, de moins en moins grandes, à cause de la dégénération des cellules cérébrales. Darik avait promis de trouver une solution. Haz s’en foutait.
Seule importait la flamme.
Le rez-de-chaussée était un vaste hall vide, seulement perturbé par les bureaux des gardiens, leurs dortoirs étant en annexe de la prison noire, dehors. On pouvait voir toutes les cellules depuis le sol, toutes construites sur le modèle du centre pénitencier. Ainsi, 800 cubes s’élevaient en colonnes sombres, parfaites, inquiétantes.
La destination d’Haz était souterraine ; les bureaux d’Orloz Terk, le directeur. Parvenu à l’ascenseur, il entendit les gardes le saluer vaguement et le bruit de leurs pas qui s’éloignent ; Ils n’étaient pas autorisés à quitter leurs étages sans permission supérieure. Arrivé aux sous-sols, il s’émerveilla, comme à chaque fois qu’il venait ici, des sculptures transparentes, capturant les rayons de jeux de lumières, savamment disposés tout autour. L’ensemble était un concert éclatant de rouges sanglants et de bleus océaniques. La statue de verre représentait un satyre, figure d’une mythologie immémoriale, tenant une femme dans ses bras, sa langue dardant le sein de la pauvre vierge, un sourire satanique pendant à sa lèvre. La scène représentait le mal qu’il nous fallait combattre. C’était de la propagande 3D « old-school » pensa Haz, amusé par les goûts douteux du décorateur et pourtant fasciné par la beauté artistique de l’œuvre.
Des cris que l’on aurait facilement accordés à un animal sur le point d’être égorgé, montaient depuis le deuxième bureau. Alors Haz su que le directeur était présent et qu’une de ses secrétaires lui avait apporté un café bleu trop froid. Sa couleur venait d’une substance chimique ajoutée, qui permettait soi-disant de conserver ses cellules cérébrales lors des transferts. Il coûtait quatre fois plus cher qu’un café normal et ses qualités médicinales étaient fausses, bien sur, mais les gens importants étaient crédules et surtout... riches. Haz parvint à sa destination sans trop écouter les hurlements exagérés du responsable. Dès que celui-ci le vit, il se leva et se recomposa un visage moins meurtrier.
- Hazoref ! C’est bien toi ! Je ne t’attendais pas si tôt ! Quel bon vent t’amène ? Enfin... Où ai-je la tête ? Tu viens voir quelques détenus. Je ne comprendrai jamais la passion que tu nourris en venant ici. Laisse donc tomber ces pauvres types, tu mérites un travail plus digne, amusant et surtout rémunérateur. Je te paye uniquement parce que tu me plais, mais tu pourrais gagner des fortunes en diplomatie, commerce, ce que tu veux !
- Que la voix de Darik soit avec tes esprits Orloz, je suis heureux de te revoir (il jeta un coup d’œil à la secrétaire tétanisée et ajouta dans un rare sourire) Je vois que tu n’as pas perdu tes habitudes ravageuses.
- Oui, oui, Darik pour toi aussi ! Ah ! Mon ami, je suis entouré d’incapables, si un jour tu décides de te travestir, j’aurais bien du boulot pour ta petite gueule !
- Tu sais bien que j’aime ce que je fais, mais je te promets que si un jour, l’envie de changer de sexe me prend, tu seras le premier prévenu. Et n’ose pas me parler d’argent vieille fripouille, je t’ai avancé assez d’argent pour que tu m’en doives pour tes deux dernières Phases entières !
- Euh... Oui, passons. J’ai entendu dire que tu avais quelques problèmes ces derniers temps, besoin d’aide ?
- Pas vraiment. J’ai retrouvé ma maison sans dessus dessous, mais rien n’avait disparu... Peut-être n’ont-ils rien trouvé de valeur à leurs yeux...
- Ou peut-être pas. Fais attention à toi, tu méprises trop la vie pour qu’elle te soit clémente un jour...
Eludant superbement les avertissements, Haz repris la formule officielle :
- Directeur Terk, Je vous prie de m’indiquer quels clients attendent mon écoute pour se confesser avant leur mort.
Orloz se rembrunissait chaque fois que son ami prenait un ton trop sérieux :
- Ces deux-là, dit-il, le doigt pointé sur son écran tactile.
- Merci Directeur. Que Darik t’accompagne mon ami.
Sur le panneau mural, deux portraits étaient apparus sur un ordre d’Orloz, la reconnaissance vocale exécutant à merveille les directives du directeur. Il détailla mentalement les deux visages et malgré la chaleur ambiante, Haz resserra les plis de son manteau, des frissons lui parcourant tout le corps. Il avait la nette impression de connaître l’un des deux condamnés.
Accueil 
