[Ebauche de nouvelle qui mériterait d'être au plus-que-parfait, selon certains. Besoin d'avis supplémentaires ...
Titre que je me jure de modifier quand j'aurais retrouvé toutes mes convictions]
Le portail s’élançait jusqu’au plus profond des ténèbres. Mon regard ne s’en défit plus, sitôt fut-il posé sur ses piques de cipolin qui semblaient transpercer les nuages avec une décadence frondeuse. Ils m’offraient de leurs bases une composition foliacée, et c’eût été comme si la nature elle-même s’était incorporée à eux, fusse-t-elle capable de créer pareil chef-d’œuvre.
Je pénétrai à l’intérieur de la propriété, le grincement désopilant du portail m’accompagnant sinistrement. J’eus un regard de compassion pour les arbres nus qui s’exhibaient sous la torture des bourrasques oppressantes. Ma pitié s’accentua lorsqu’un arbuste que le vent avait effeuillé quémanda mon écharpe.
La dernière chose qui m’indisposa avant de m’engouffrer dans la chaleur confortable de l’intérieur fut le sol. Il me semblait bancal, prêt à se dérober sous chacun de mes pas, de guingois. Non décidément, la terre rocailleuse de Mars n’était vraiment pas droite.
L’intérieur de la demeure m’inspira immédiatement confiance. Les fleurs en plastique qui s’amoncelaient sur un carré d’ébène, dont les formes ne s’apparentaient aucunement à une table, semblaient me prévenir de l’arrivée imminente de mon hôte. En effet, la psychiatre fit son apparition dans la minute. Il y avait chez elle je ne sais quoi de pauvre, de juvénile, qui contrastait impertinemment avec les rides sillonnant son visage. Dans son regard résidait quelques airs hasardeux qui m’attiraient, malgré moi. Son sourire m’inspirait la sincérité elle même, quoi qu’il ne fût exempt d’une certaine malice. Nous pénétrâmes tous deux dans son bureau. Le premier semestre débutait.
Une lumière fluorescente se dégageait du plafond, émettant dans un dernier soubresaut un faible faisceau clignotant. Elle paraissait rassembler d’inconcevables efforts émérites pour éloigner l’heure de sa mort. Il y avait ce miroir à multiples faces, également. Posé sur le bureau de la psychiatre, le prisme renvoyait dans diverses directions l’image de mon interlocutrice, et toujours son sourire, sous tous les angles, avec un entêtement embarrassant qui semblait vouloir me désaxer. L’entretient s’ouvrit sur une question purement formelle, qui aurait tout aussi bien pu être négligée en la faveur d’un café en coin de terrasse. « En quoi êtes vous problématique ? »
Là était tout le problème. C’était d’ailleurs une formidable question. Je remerciai silencieusement la jeune femme d’être aussi belle d’esprit. C’est ainsi que je me mis à décrypter silencieusement ma vie. Tout d’abord, je fus soucieux de lui parler de mon métier. J’étais opticien (et peseur d’âmes à mes heures perdues). Rien de bien significatif, je le concède. Seulement, je ne pouvais songer à laisser partir un client sans avoir étoffé ma collection de globes oculaires, celle là même qui trônait fièrement sur ma cheminée. Bien sûr, les yeux n’étaient pas toujours plaisants. Leurs nerfs rouges vifs semblaient toujours doués de vie, même une fois extraits des cavités oculaires de mes clients. Il y en avait de toutes formes. Certains n’étaient pas pour me déplaire. Ils paraissaient me séduire, à la lueur d’une belle flambée. « Tout gravite autour du regard »
Ensuite, j’eux l’envie de lui parler de ma vie amoureuse désastreuse. Faute de cœurs, je pillais les corps. Les parents des défunts étaient d’ailleurs les premiers à m’en tenir rigueur. Mais, honnêtement, n’y a t il plus beau privilège que celui de danser avec une dulcinée à la pâleur cadavérique ? Mes bals nocturnes aux bras de demoiselles trépassées m’étaient d’un réconfort jouissif qui soignait tous mes maux. Un instant, je crus voir la jeune femme ciller, mais il n’en fut rien. Elle était plus belle encore dans son impassibilité que dans sa sympathie simulée. Ses regards n’appartenaient qu’à moi, et je fus presque tenté de les lui voler. Les yeux de la psychiatre, ainsi braqués sur moi, m’enorgueillirent. Il était flatteur de se sentir ainsi observé. « Tout se joue dans l’ouverture d’esprit de l’égocentrisme »
Cette dernière thèse ne sembla nullement approuvée par la psychiatre qui, sans l’once d’un sentiment de compassion ou même de volonté d’aide, annonça la fin de la séance. Je me levai gauchement, en savourant la distance glaciale et le manque de sentiments de la jeune femme. Une fois reconduit à l’extérieur de la bâtisse, je compris que je reviendrais ici toute ma vie s’il le fallait. Le diagnostic était sans appel : Folie au degré supérieur.
Cette nouvelle maladie n’était pas pour me plaire. Je décidai donc qu’il était temps d’orchestrer ma mort. Je choisis mon jour, tout d’abord. Le Vendredi me plaisait bien. Je l’assimilais à la beauté de Vénus, et celle, plus subjuguante encore, de ma psychiatre. Enfin, je me dévêtis complètement, en hommage aux arbres martyrs qui pleuraient l’injustice le long de l’immense propriété. J’emportai avec moi le sourire de la belle jeune femme, son œil droit (j’avais remarqué qu’il était constamment rivé sur moi lors des séances), et un bouquet de fleurs en plastique que je me nouai autour du cou. L’unique sourire que je possédais en poche se fana. Les fleurs aussi.
Ensuite, je ne me souviens plus.